La mise en place de l’administration municipale d’Alligny, lors de la Révolution de 1789.
Les événements de 1789 ( transformation des EtatsGénéraux en Assemblée nationale le 17 juin, prise de la Bastille le14 juillet, abolition des privilèges lors de la nuit du 4 août) ont abouti à l’écroulement de tout l’Ancien Régime politique et social. L’Assemblée nationale, devenue Constituante, s’attache dès lors à assurer l’organisation de la France nouvelle qui sera officiellement définie par la Constitution de 1791. Quel bouleversement pour les populations des campagnes françaises habituées à l’autorité du seigneur local, et du clergé, représenté par le curé de la paroisse ! On pourrait supposer que dans nos contrées éloignées de la capitale, les transformations ont été très lentes ; mais la lecture du premier registre de délibérations de notre commune nous apprend qu’en quelques mois seulement, la nouvelle organisation se met en place.
Dès l’automne 1789, à Paris, les décrets se succèdent continuellement car il est urgent de définir la nouvelle administration qui doit prendre le relais et surtout d’assurer la gestion financière de l’Etat. La commune remplace désormais la paroisse et les principales dispositions la concernant sont votées dans l’hiver : constitution des municipalités (14 décembre 1789), modalités pour la convocation des municipalités ( 6 janvier 1790), division de la France en 83 départements (15 janvier), conditions pour être « citoyen actif »( 15 et 16 janvier 1790).
A Alligny, la première municipalité est élue le 22 mars 1790. On a ouvert le premier registre de délibérations le 8 mars, tenu par le curé Edme Alexandre Crépey, désigné comme président de la communauté (il tenait jusqu’alors les registres paroissiaux), pour « enregistrer les décrets de l’Assemblée nationale et ensemble les délibérations de la municipalité ». Ce registre comporte 190 feuilles cotées et paraphées, et porte la mention de « toutes les proclamations » publiées depuis le 10 aoôt 1789 auxqelles s’ajoutent peu à peu les décisions communales.
Nous possédons la liste des citoyens qui ont participé à cette première élection. Remarquons, à ce sujet, que les Constituants, ayant refusé d’établir le suffrage universel ils ont instauré un suffrage censitaire masculin : pour être électeur, il faut être un homme, avoir 25 ans au moins et payer une contribution directe au moins égale à trois journées de travail. Pour être éligible, cette contribution doit être égale à 10 journées de travail. La valeur locale de la journée de travail, permettant d’établir le cens électoral, n’ayant été fixée, à Alligny, que le 30 mai suivant, on peut se demander comment ces premiers citoyens ont été choisis.
Cette liste n’est pas complètement lisible mais on n’y compte que 83 votants (pour avoir une idée de la proportion par rapport à la population masculine, nous savons que trois ans plus tard, les hommes de 18 à 40 ans, mobilisables, sont au nombre de 161 ). Il apparaît donc que le nombre de votants est supérieur à 50% puisqu’il ne faut compter que les hommes de plus de 25 ans ; mais on sait qu’il y a parmi eux 48 manouvriers (paysans pauvres ne possédant pas ou peu de matériel et peu de terre), 27 laboureurs (paysans aisés possédant terre, matériel et bétail), 3 marchands fermiers, 2 cabaretiers, 1 boulanger et...1 bourgeois. Les plus pauvres semblent donc bien représentés.
L’Assemblée se réunit donc à l’église sous la présidence du curé Crépey avec, comme secrétaire, le vicaire Théodore Nyault, les scrutateurs étant Claude Donnet, marchand fermier, Jean-Marie Gaudry, marchand en Mont (bourgeois) et Claude Carré, laboureur ; tous ces scrutateurs savent écrire. Ils ont été désignés par une élection à un tour à la majorité relative.
Le bureau de vote étant constitué,il s’agit de désigner pour la première fois, un maire, (détenant le pouvoir exécutif), un procureur ou syndic, (représentant l’intérêt public et veillant à l’application de la loi), 5 officiers municipaux et 12 notables pour former le « conseil général de la commune » ayant pour attributions de répartir et percevoir les impôts, faire exécuter les lois, assurer la police et les services d’assistance. A cette époque , on élit le maire et le procureur au suffrage direct avant d’élire les conseillers et notables, alors qu’aujourd’hui, le maire est élu au suffrage indirect.
Le procès-verbal donne les résultats suuivants :Maire : J.M. Gaudry ; procureur : C. Carré, (dans la suite du registre, il est nommé : Hugues Carrey)
Officiers municipaux : Charles Gillot et Pierre Caillot, manouvriers, Nicolas Balloup, Noël Bonnard, Claude Pitois, laboureurs.
Notables : Joseph Collenot, manouvrier, Claude Remoissonet, Andoche Dureuil, Jean Bourgeois, François Cortet, Antoine Guilminot, Claude Chaumien,Nicolas Bailly, Lazare Bourgeois, Jean Simonot, laboureurs, Jean Quignard, Pierre Girard, cabaretiers.
Il est à noter que Claude Donet a refusé de signer : s’étant porté comme scrutateur et n’ayant pas été élu au conseil, on peut penser qu’il a mal vécu cet échec…
Tous prêtent serment et le curé Crépey est nommé greffier (c’est-à-dire secrétaire)
Dès lors, les réunions seront de plus en plus fréquentes.
A part le maire et le procureur, peu de membres apposent leur signature (ils ne savent sans doute pas écrire). Seul Noël Bonnard appose régulièrement la sienne, ajoutant parfois « officier municipal », titre dont il doit être très fier ! Mais, au fil des mois, le nombre des signatures augmente .
Le 30 mai suivant, le conseil se réunit pour déterminer, conformément au décret du 11 février 1790, la valeur locale de la journée de travail, afin de former la liste des citoyens actifs (ceux qui auront le droit de vote). La valeur est fixée à 15 sols. Ainsi, pour être citoyen actif, à Alligny, il faut payer une contribution directe anuelle au moins égale à 45 sols, soit 2 livres et 5 sols. Pour se faire une idée de cette valeur, indiquons qu’une bouteille de vin vaut 9 sols, une livre de pain blanc, 4 sols, une paire de sabots d’homme, 8 sols. Ce n’est donc pas un cens très élevé mais on est bien loin du suffrage universel puisque sont citoyens passifs toutes les femmes, les hommes pauvres et les jeunes de moins de 25 ans !
Le 21 juin, le conseil est réuni de nouveau pour la nomination d’un collecteur pour la perception du rôle de la contribution patriotique (c’est ainsi qu’on désigne les impôts directs qui sont au nombre de trois :contribution foncière sur les terres et les maisons, contribution personnelle basée sur la fortune estimée, patente pour les commerçants ). Jean Bourgeois est désigné pour cette tâche, certainement ingrate.
Très vite, les idées de liberté et l’abolition de l’autorité des nobles donnent le sentiment que l’on peut s’affranchir de certaines contraintes… C’est ainsi que des particuliers s’approprient des terrains communaux et y mettent le feu ou construisent sans autorisation. Le procureur est bientôt submergé par les plaintes des citoyens et à sa demande, le conseil est amené à donner audience et distribue des amendes.
Par délibérations du 8 et du 22 août, un sergent (sorte de garde-champêtre) est nommé pour les affaires municipales et son salaire est fixé à 10 sols pour chaque copie et voyage. C’est Louis Collenot, manouvrier à La Place qui est désigné.
Cependant J.M. Gaudry (premier Maire d’Alligny) étant nommé administrateur au district de Château-Chinon, doit démissionner de sa fonction le 15 août 1790. Une nouvelle élection a donc lieu le 12 septembre. Cette fois, la liste des électeurs ayant été établie avec un cens électoral de 45 sols, les citoyens actifs sont au nombre de 112. Andoche Dureuil, laboureur à Pensières, est élu maire au 2ème tour et un nouveau notable est élu en remplacement : E. Geay, laboureur à Mont.
Le 28 juin 1790, l’Assemblée nationale ordonne le paiement des anciens impôts (taille, capitation, vingtième) qui n’étaient pas rentrés du fait des énénements.
Le conseil général de la commune (c’est ainsi qu’on le nomme désormais), se réunit le 10 octobre pour nommer deux collecteurs pour « la perception des taille, capitation et vingtième » de l’année 1790. Jacques Girard, laboureur en Mont et Jean Rousseau, laboureur à Fétigny, sont désignés. Le même jour, il est question d’un « recteur d’école » pour la paroisse. On voit ainsi que l’instruction est une des premières préoccupations de la nouvelle municipalité.
En effet, le 1° novembre 1790, est engagé «en qualité de chantre et recteur d’école » le dénommé Jean Clerc, « tixier en toile » à Viange. On voit ausi que l’enseignement reste étroitement lié à l’Eglise et l’étude de la convention passée avec la commune est tout à fait intéressante.
Le contrat est fait pour 6 ans, dénonçable au bout d’un an ou de 3 ans par l’une ou l’autre partie à condition, pour J.Clerc, d’avertir 3 mois auparavant. Le salaire est de 120 livres par an,
« laquelle somme sera répartie annuellement sur les paroissiens et habitants d’Alligny ». Elle sera payables « en deux termes et payements égaux », le 1er mai et le 1er novembre.
La fonction de J.Clerc est donc double :
- en tant que chantre, il doit « assister M. le curé… ou tout autre desservant la dite paroisse, dans toutes les fonctions de son ministère : chanter au lutrin…l’accompagner pour porter le Saint Sacrement, servir la messe tous les jours , sans pouvoir s’absenter que de son exprès consentement » de plus, « les services particuliers, mariages, enterrements et grandes messes lui seront payés suivant l’usage ».
-en tant que recteur d’école, il doit « tenir classe et école tous les jours, exceptés ceux empêchés par l’office divin, deux heures matin et soir, pour apprendre et enseigner la lecture, l’écriture et l’arithmétique aux enfants ». Pour cela, les parents devront payer par enfant « 4 sols pour les commençants,7 sols pour ceux qui apprendront à lire et à écrire et 10 sols pour ceux qui désireront apprendre en outre l’arithmétique ». Est-ce par an?... cela n’est pas indiqué.
Bien sûr on se demande quelles sont les compétences d’un tisserand pour enseigner et qui les vérifie.
La délibération nous donne la réponse : « à l’instant a comparu Maître E.A.Crépey, curé dudit Alligny, lequel, après avoir interrogé ledit J.Clerc sur les devoirs de son état a déclaré qu’il le reconnaissait capable d’exercer les fonctions de sa place ».
A la lecture de cette convention, il apparaît que c’est par les impôts qu’on rémunère l’enseignant et chantre d’église, et que les cours ne sont pas gratuits pour les familles, en considérant cependant que les sommes prélevées servent probablement à acheter le papier et l’encre. On peut remarquer aussi que le temps scolaire ne comporte que 4 heures par jour mais pendant six jours, soit 24 h par semaine... De quoi alimenter le débat actuel sur les rythmes solaires !!!